Récit de William Bell – Prisonnier de guerre

Prisonnier de guerre

Vers le 26 décembre, les Japonais ont choisi environ 200 des plus forts parmi nous et nous ont envoyés au camp Sham Shui Po. À notre arrivée, le camp était complètement sans dessus dessous. C’est à Sham Shui Po que j’ai vu mon frère Gordon pour la dernière fois; il a pu traiter les blessures que j’avais reçues pendant la bataille. Lorsque les Japonais ont découvert que Gordon et moi étions frères, nous avons été séparés et envoyés à des camps différents. Je ne reverrais plus jamais Gordon de son vivant.

Un de nos médecins militaires était le Major John Crawford, qui avait également servi auprès des Grenadiers en Jamaïque et aux Bermudes. Il a trouvé difficile de traiter le grand nombre de problèmes médicaux face au manque de médicaments et d’équipement. Je me souviens qu’à un moment donné, un groupe d’hommes s’est efforcé de réparer un rasoir pour qu’il puisse s’en servir en chirurgie. La lame avait une grande ébréchure et les hommes se sont servis de pierres tranchantes pour que la lame soit la plus conforme possible.

Le 22 janvier 1942, on m’a transféré au camp de PG de North Point dans la région Kowloon de Hong Kong. À notre arrivée au pas à North Point, nous avons vu des tranchées remplies de cadavres pourrissants de Chinois qu’on avait laissés là où ils étaient tombés. On nous a fait défiler dans la rue principale de Kowloon, où je me souviens avoir été craché dessus par plusieurs personnes, y compris des civils, alors que nous passions devant eux. Les conditions à North Point étaient absolument déplorables. Nous ne recevions que des restants de riz très souvent contaminés d’asticots et de crottes de rat. Plusieurs hommes ont été atteints de dysenterie et bientôt nous souffrions tous de ce qui s’avérerait 42 mois de malnutrition. Le commandant du camp était un Japonais qui s’appelait le Lieutenant Wadda. Il avait environ 35 ans.

Peu après notre arrivée à North Point, un homme chinois qui s’était fait jeter hors de chez lui dans les collines est descendu jusqu’à notre camp. Je vois toujours dans ma tête ce pauvre homme qui avait tout perdu, courant le long de l’extérieur de la clôture du camp à essayer de mendier. Sans avertissement, un garde japonais a dégainé son sabre et lui a coupé la tête devant nous tous. Les Japonais n’ont pas tardé à démontrer qui avait le haut du pavé.

Le 7 juillet 1942, la Croix-Rouge canadienne a envoyé un chargement de matériel sur le navire Gripsholm. Je ne me souviens pas avoir vu la moindre partie de cette cargaison de 150 tonnes de cigarettes, de nourriture et de fournitures médicales. Une lettre du lieutenant-colonel F.W. Clarke (officier du DDN à Ottawa spécialement affecté au bien-être des PG) a rapporté à ma famille que « les prisonniers sont bien traités et l’alimentation a beaucoup été améliorée. » C’était complètement faux.

Alors que j‘étais à North Point, un des soldats britanniques est mort. Je me souviens des funérailles et qu’un prêtre bouddhiste est venu dire la messe avec de l’encens et tout. On m’affectait souvent au travail d’enterrement. Après la messe, nous avons chargé le corps du soldat sur une petite charrette montée sur deux roues de bicyclette, et nous l’avons transporté jusqu’au crématorium. C’était la charrette que nous utilisions toujours pour le transport des cadavres des moins fortunés qui mourraient presque tous les jours.

Cette nuit-là, je me souviens avoir eu le rêve le plus étrange et mémorable. J’étais au Paradis devant deux grandes portes lourdes en métal. J’ai frappé aux deux portes et lorsqu’une d’entre elle s’est ouverte j’ai appelé le soldat britannique qui était mort plus tôt ce jour-là. Tout ce dont je me souviens, c’est qu’il faisait complètement noir de l’autre côté et on m’a dit que le soldat n’était pas là. Le jour après, j’ai cherché son nom dans les inscriptions, mais je ne le trouvais nulle part. L’esprit joue de drôles de tours sur quelqu’un qui est assujetti à la famine, à l’isolement et au traitement cruel.

Une autre lettre que ma famille a reçue de la part du Colonel Clarke déclarait que « des revues, des livres, des jeux et d’autres articles de confort seraient envoyés lors d’un deuxième voyage du GRIPSHOLM en provenant de New York le 29 octobre 1942. » Ils espéraient envoyer « des uniformes pour l’hiver et l’été, des vêtements chauds, des bottes et des couvertures avant le début de l’hiver. Cette cargaison devait partir pour la Russie et continuer jusqu’à l’Orient lorsqu’un bateau à vapeur serait disponible. » Je peux dire en toute certitude que je n’ai vu aucune de ces fournitures.

Pendant plusieurs mois, nos familles ignoraient tout de notre sort. Le 12 août 1942, ma mère, Rachel, a reçu une lettre de l’armée l’avisant qu’il y avait « une liste qui serait envoyée sous peu d’environ 300 hommes dont le sort était inconnu. » Ce ne fut que le 13 octobre 1942 que ma mère a enfin reçu un télégramme officiel l’informant que j’étais « un prisonnier de guerre et détenu dans un camp de Hong Kong. »